Voies de la douleur et théorie du portillon
Cet article vise à examiner les structures anatomiques impliquées dans la perception de la douleur, ainsi qu’à décrire la théorie du portillon (Gate Control Theory) dans le cadre de la modulation de la douleur.
Nombreux sont ceux pour qui la douleur est une nuisance constante. Elle peut être la manifestation d’une lésion réelle (comme un traumatisme contondant d’un membre) ou d’une souffrance émotionnelle (comme la douleur d’un cœur brisé). Ainsi, la douleur peut être définie comme une perception subjective de stimuli nocifs.
L’Association Internationale pour l’Étude de la Douleur (International Association for the Study of Pain – IASP) a proposé une définition plus appropriée pour englober ce concept :
« La douleur est une expérience sensorielle ou émotionnelle désagréable associée à un dommage tissulaire réel ou potentiel, ou décrite en des termes évoquant un tel dommage. »
Vue d'ensemble
La douleur peut être classée selon des critères temporels (aiguë ou chronique) ou selon le site d’origine (viscérale ou somatique).
- La douleur aiguë, comme son nom l’indique, survient brutalement et fait généralement suite à une affection très récente (traumatisme iatrogène, infarctus du myocarde).
- La douleur chronique évolue sur une période prolongée allant de plusieurs mois à plusieurs années.
Elle peut être subdivisée en douleur nociceptive ou neuropathique selon la cause de l’atteinte le long de la voie neuronale.
- La douleur nociceptive résulte de stimuli susceptibles de provoquer des lésions tissulaires. Des exemples de causes possibles sont les crises drépanocytaires, les traumatismes sportifs, la douleur mécanique ou encore la douleur postopératoire.
- La douleur neuropathique, quant à elle, est due à un dysfonctionnement du système nerveux ou à une lésion de celui-ci. Elle est typique des cas de névralgie du trijumeau, de neuropathie diabétique ou encore de douleurs liées au cancer. Il est également possible que les douleurs nociceptives et neuropathiques coexistent, formant ce que l’on appelle une douleur mixte.
La douleur provenant des organes internes, appelée douleur viscérale, est souvent décrite comme sourde, diffuse ou pulsatile, et difficile à localiser.
La difficulté à localiser précisément une douleur viscérale provient d’un phénomène appelé douleur projetée (ou référée). Il s’agit d’un mécanisme par lequel une douleur provenant d’une région du corps est perçue ailleurs.
Par exemple, la douleur liée à une pancréatite est souvent ressentie dans la région épigastrique (autour du processus xiphoïde), irradiant vers le dos. Un autre exemple plus connu est celui de la douleur lors d’un infarctus du myocarde, qui irradie vers le côté gauche du cou, l’épaule gauche et le bras gauche. Cela contraste fortement avec la douleur somatique, qui provient des tissus cutanés, sous-cutanés et des structures musculosquelettiques. Ce type de douleur peut être précisément localisé à un point donné.
Voies de la douleur
Le processus de conversion des stimuli nocifs en potentiels d’action implique plusieurs étapes.
Des lésions tissulaires peuvent survenir à la suite de blessures d’origine chimique, thermique ou mécanique. Ces événements sont détectés par des nocicepteurs, qui sont constitués des fibres Aδ (alpha) (myélinisées, avec une vitesse de conduction de 20 m/s) et des fibres C (non myélinisées, avec une vitesse de conduction de 2 m/s). Les fibres Aδ transmettent les stimuli douloureux à une vitesse plus rapide que les fibres C, par conséquent, les fibres Aδ sont impliquées dans les arcs réflexes spinaux de protection qui provoquent le retrait rapide face à un stimulus nocif, tandis que les fibres C transmettent une douleur plus lente, semblable à une brûlure persistante.
En réponse aux stimuli, les nocicepteurs transduisent ces informations en influx nerveux en libérant divers neurotransmetteurs tels que les prostaglandines, les bradykinines, la substance P et l’histamine, qui déclenchent une réponse inflammatoire et propagent simultanément les signaux douloureux vers la moelle spinale.
Le potentiel d’action généré est propagé le long des nocicepteurs jusqu’à la corne dorsale de la moelle spinale. À ce niveau, les nocicepteurs bifurquent vers le haut (crânialement) et vers le bas (caudalement) sur deux à trois segments médullaires, formant le tractus postéro-latéral de Lissauer.
Les nocicepteurs (neurones de premier ordre) font ensuite synapse avec les corps cellulaires des neurones du tractus spinothalamique (neurones de second ordre) au niveau de différentes couches de la colonne dorsale appelées couches ou lames (cytoarchitectoniques) de Rexed :
- Lame I (noyau dorsomarginal) : répond aux stimuli thermiques ou nocifs cutanés.
- Lame II (substance gélatineuse) : impliquée dans la régulation de l’influx sensoriel.
- Lames IV à VI (noyau propre) : également appelées noyaux profonds de la colonne dorsale, ces cellules répondent aux stimuli cutanés ainsi qu’aux informations afférentes provenant des viscères et des récepteurs somatiques profonds.
- Lames VII et VIII : responsables de la transmission des stimuli somatiques profonds provenant des muscles et des articulations.
Les fibres du tractus spinothalamique quittent la colonne dorsale et se croisent dans la commissure blanche antérieure de la moelle spinale. Les fibres gérant la douleur et la sensation thermique se regroupent dans le cordon latéral (bordé latéralement par le tractus spinocérébelleux ventral) pour former le tractus spinothalamique latéral. Celles qui gèrent les sensations de toucher léger et de pression se regroupent dans le cordon antérieur pour former le tractus spinothalamique ventral.
Ces tractus présentent une organisation somatotopique allant du latéral vers le médial : fibres sacrées, fibres des membres inférieurs, fibres du tronc et enfin fibres des membres supérieurs. Cette organisation est conservée tout au long du trajet ascendant. Le tractus spinothalamique transmet les informations à plusieurs centres du système nerveux central pour leur intégration et leur traitement. Il émet des fibres spinoréticulaires qui synapsent avec les neurones du noyau du raphé magnus dans le bulbe rachidien (alias medulla oblongata ou moelle allongée). Au niveau du mésencéphale, il donne des branches qui font synapse avec les cellules de la substance grise périaqueducale, du noyau dorsal du raphé et de la formation réticulée (ou réticulaire). Le reste des fibres du tractus se termine dans les noyaux ventropostérolatéral (VPL) et intralaminaires du thalamus.
Depuis le thalamus, les neurones de troisième ordre cheminent via le bras postérieur de la capsule interne et se terminent dans les zones somatotopiques correspondantes du cortex somatosensoriel (aires de Brodmann 1, 2 et 3). Les cortex cérébraux permettent non seulement la perception consciente de la douleur, mais ils stimulent également l’hypothalamus, l’amygdale et la substance grise périaqueducale, qui inhibent à leur tour la transmission de la douleur via la libération d’opioïdes endogènes, de noradrénaline et d’acide γ-aminobutyrique (GABA).
Théorie du portillon
En 1965, Ronald Melzack et Patrick Wall ont proposé l’existence de systèmes capables de moduler la transmission des influx nerveux circulant le long des voies afférentes (y compris nociceptives) : c’est la Théorie du Portillon, également connue sous son appellation anglaise Gate Control Theory. Le concept fondamental de la théorie du portillon est que l’activité d’interneurones inhibiteurs peut supprimer les signaux nociceptifs ascendants, agissant ainsi comme des portillons qui réduisent la transmission. Ils ont postulé que les petites fibres afférentes non myélinisées inhibent les interneurones mais excitent les cellules du tractus spinothalamique, tandis que les fibres afférentes plus grosses (telles que celles provenant des corpuscules du toucher ou des follicules pileux) excitent les neurones de grande taille de la lame IV et les interneurones de la substance gélatineuse.
Les interneurones mentionnés précédemment complètent les arcs réflexes complexes au sein de la substance grise de la moelle spinale. Il est théorisé que la lame II de Rexed, également appelée substance gélatineuse, abrite ces interneurones qui régulent la transmission de la douleur en inhibant la propagation des influx nerveux le long des fibres afférentes de petit et de grand diamètre. Lorsqu’ils sont activés, ces interneurones inhibent les fibres afférentes qui forment des synapses avec les cellules du tractus spinothalamique.
Ainsi, une faible activité des petites fibres afférentes entraîne une inhibition des interneurones de la substance gélatineuse. Par conséquent, les sensations afférentes provenant des fibres de grand diamètre sont transmises sans opposition (bien que de manière intermittente) aux cellules de la lame IV du tractus spinothalamique. Le « portillon » de la lame IV serait donc ouvert de façon sporadique, ce qui permet une transmission initiale importante via les fibres de grand diamètre qui s’affaiblit progressivement à mesure que le portillon se referme (l’activité des petites fibres diminuant).
En revanche, si les impulsions issues des petites fibres afférentes sont fortes et persistantes, le portillon reste ouvert, permettant à un important volume de stimuli d’atteindre les cellules de la lame IV. Cela se traduirait ainsi en une perception supraspinale plus intense de la douleur.
Notes cliniques
Pour certaines personnes, la douleur agit comme un signal d’alarme indiquant qu’un dysfonctionnement est présent ou imminent. D’un autre côté, ceux qui font l’expérience de ces sensations sont généralement perturbés et éprouvent un certain inconfort. Cependant, la douleur peut également avoir des effets délétères sur plusieurs systèmes de l’organisme, nécessitant alors une prise en charge médicale rapide.
La douleur est un événement stressant, souvent associé à la peur et l’anxiété. Elle active le système nerveux sympathique, entraînant la libération de diverses catécholamines. Ces catécholamines provoquent une vasoconstriction, augmentant ainsi la résistance vasculaire systémique, et par conséquent, la pression artérielle. Ceci est souvent accompagné d’une augmentation de la fréquence cardiaque, pouvant entraîner une hausse des besoins d’oxygène dans le myocarde. Si ce besoin dépasse l’apport disponible, le patient est à risque d’ischémie myocardique.
Les douleurs thoraco-abdominales, notamment après une intervention chirurgicale, peuvent amener les patients à restreindre leur respiration. Cette hypoventilation, en particulier dans un contexte de forte demande en oxygène et de production accrue de dioxyde de carbone, peut entraîner une hypoxémie (baisse de la concentration d’oxygène dans le sang) et une hypercapnie (excès de CO₂). Un déséquilibre ventilation/perfusion peut s’installer, aggravant les complications cardiovasculaires et ralentissant aussi la cicatrisation des plaies.
Comme mentionné précédemment, la douleur stimule le système nerveux sympathique, qui favorise également la libération d’adrénaline, de noradrénaline et d’autres catécholamines. Ces neurotransmetteurs diminuent la motilité gastro-intestinale, provoquant un iléus paralytique (blocage intestinal sans obstacle mécanique). Cela retarde la vidange gastrique et peut entraîner une accumulation de sécrétions gastriques, augmentant le risque d’ulcères de stress (dus à l’agression acide sur la muqueuse), de pneumonie par aspiration, de nausées, vomissements et constipation. En outre, la stimulation des récepteurs centraux de la douleur active le centre du vomissement, exacerbant les nausées et les vomissements.
En activant le système sympathique, la douleur entraîne également la libération d’une myriade d’hormones ayant des répercussions sur d’autres systèmes. Celles-ci incluent notamment :
- La rénine, qui est sécrétée par les cellules juxtaglomérulaires des reins et stimule indirectement la libération d’angiotensine II et d’aldostérone via le système rénine–angiotensine–aldostérone (SRAA). L’aldostérone favorise la rétention de sodium et, par conséquent, la réabsorption de l’eau ; tandis que l’angiotensine II provoque la vasoconstriction. Ainsi, en augmentant le volume intravasculaire et en réduisant la résistance périphérique, la voie du SRAA entraîne une élévation de la pression artérielle pouvant affecter le système cardiovasculaire.
- Le glucagon, une autre hormone du système sympathique qui favorise la conversion en glucose du glycogène stocké, en vue de son utilisation comme source d’énergie. Cette augmentation du taux de sucre dans le sang peut en revanche être préjudiciable aux patients déjà diabétiques et ayant des difficultés à réguler leur glycémie.
La perception de la douleur comporte une composante subjective qui rend difficile l’évaluation objective de son intensité. Certains cliniciens qualifient la douleur de cinquième signe vital. Elle peut être quantifiée indirectement à l’aide de plusieurs échelles d’évaluation. Les échelles verbales ou numériques permettent aux adultes et aux enfants plus âgés d’indiquer leur degré de douleur. Pour les jeunes enfants, une échelle visuelle analogique (EVA) ou l’échelle des visages de Wong-Baker est plus adaptée. Pour l’échelle numérique, on demande au patient d’évaluer sa douleur sur une échelle de 0 à 10, 0 représentant l’absence totale de douleur et 10 la pire douleur imaginable.
En plus de l’aspect physique, la douleur présente une dimension psychologique. Des sensations douloureuses constantes peuvent entraîner une anxiété importante et un état de détresse chez les patients. Il est donc primordial de prendre en charge efficacement la douleur, quelle que soit l’apparente simplicité de la situation clinique.
Il existe des méthodes pharmacologiques et non pharmacologiques pour la gestion de la douleur ; toutefois, cet article n'abordera ces approches que brièvement puisque chacune mériterait un article dédié.
Une gestion pharmacologique de la douleur peut être implémentée à chacun des quatre niveaux de la voie de la douleur : transduction, transmission, perception et modulation. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) constituent une classe de médicaments qui agissent en inhibant la production de prostaglandines via la régulation négative de l’enzyme cyclooxygénase (coxibs). Ils comprennent l’ibuprofène, le paracétamol et le célécoxib. Ces médicaments agissent au niveau des nocicepteurs (transduction) pour réduire la transmission des influx douloureux.
Les anesthésiques locaux agissent au niveau des canaux sodiques de la membrane neuronale, afin de limiter la propagation du potentiel d’action. Ainsi, douleurs et autres types d’influx ne peuvent être transmis par ces neurones. Ces médicaments comprennent la lidocaïne, la bupivacaïne, et le plus célèbre, la cocaïne (pour n’en nommer que quelques-uns). D’autres médicaments à action centrale, comme les opioïdes (morphine, fentanyl et rémifentanil), agissent sur les récepteurs opiacés pour modifier la perception des signaux douloureux.
L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a proposé une approche progressive de l’administration des antalgiques, connue sous le nom d’échelle analgésique de l’OMS. Cette stratégie est fondée sur l’intensité de la douleur perçue par le patient et sur l’efficacité du médicament dans chaque situation. La première étape conseille l’utilisation des antalgiques non opioïdes les moins puissants comme l'aspirine ou les AINS. Si la douleur persiste ou s’intensifie, on passe à l’utilisation des opioïdes les moins puissants (comme la codéine) en association avec un non-opioïde. Si les traitements précédents échouent, la troisième étape recommande l’usage d’opioïdes puissants (ex. morphine) seuls ou combinés à un non-opioïde pour tenter de contrôler la douleur.
La thérapie combinée est une approche bénéfique pour la gestion de la douleur car elle permet au clinicien d’agir sur plusieurs mécanismes tout en réduisant les doses individuelles de chaque médicament utilisé. Cela limite aussi la fréquence et la gravité des effets indésirables liés à chaque médicament utilisé par le patient.
La stimulation électrique transcutanée des nerfs (TENS) est une méthode non pharmacologique de gestion de la douleur, classée dans les techniques d’électroanalgésie. La TENS exploite directement le principe de la théorie du portillon. L’appareil TENS est un générateur de signaux électriques sur batterie muni de plusieurs électrodes. Ces générateurs peuvent être programmés pour délivrer des impulsions à des fréquences (taux de pulsation), durées (largeur d’impulsion) et intensités (amplitude) spécifiques. Les électrodes sont appliquées sur la peau au niveau de la zone douloureuse et les impulsions électriques stimulent les interneurones inhibiteurs, bloquant ainsi la propagation de la douleur. Par ailleurs, certains travaux de recherche suggèrent que la TENS augmente la concentration d’endorphines et d’enképhalines endogènes, procurant un effet analgésique via les récepteurs opiacés.
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